Aaron Peer en parle avec un petit rire. Le rire gêné de celui qui n’a rien vu venir. « On était tous les quatre en voiture pour aller d’un décor du film à un autre : Benham, Charlie, Lizzy et moi ». En ce mois de juin 2010, dans le New Jersey, la petite équipe n’a alors que quelques jours pour tourner ce qui sera le dernier projet personnel en date d’Aaron, étudiant en cinéma à New York : Poolside. Plus précisément, 12 minutes et 19 secondes d'un court métrage qui raconte une lente dérive impliquant deux nettoyeurs de piscines, un vol par effraction, et une idylle d’été au bord de la piscine chlorée d’une grande demeure. Un court-métrage classique pour cet étudiant bientôt diplômé. Sauf que dans ce simple trajet, sur une route anonyme du New Jersey, rien n’était vraiment banal. À l’avant sur le siège passager, Lizzy, des cheveux blonds et un air candide, propose aux garçons de mettre de la musique. « Lizzy a alors mis ses morceaux en nous disant ‘Hey, c’est des trucs sur lesquels je suis en train de bosser’, explique Aaron, qui ne porte qu'une attention toute relative à la musique. J'étais surtout en train de construire mentalement mon film ». Benham Jones était de la virée lui aussi. Et son souvenir est un peu plus précis. « La première chanson que Lizzy nous a passé ce jour-là dans la caisse, c’était ‘Video Games’. La seconde, ‘This Is What Makes Us Girls’. On a tous trouvé ses morceaux très cools. Mais on avait évidemment aucune idée de qui allait se passer » replace-il. Lizzy, qui a pris le contrôle du lecteur CD depuis le siège passager n’est aujourd’hui plus une inconnue comme le rappelle Benham : « C’était Lizzy Grant. Celle qui allait devenir Lana Del Rey quelques mois plus tard ».
« On a tous trouvé ses morceaux très cools. Mais on avait évidemment aucune idée de ce qui allait se passer »
Comment la future star de la pop US, 25 ans à l'époque, a-t-elle bien pu se retrouver à jouer dans un film amateur au budget d’à peine 400 dollars ? Peut-être parce qu’elle avait « aimé le scénario » comme le dit Aaron, qui l’avait repérée grâce à une vidéo pixelisée prise au Mercury Lounge de New York quelques temps auparavant. Peut-être aussi grâce à sa personnalité, et « la manière très spécifique qu'elle avait de parler » à en croire le même Aaron. Et surtout parce que toute cette troupe étudiait dans les mêmes bâtiments de la Fordham University, dans le Bronx. Médias et communication pour Aaron, philosophie pour Lizzy. Celui qui parle le mieux de cette époque, c’est Benham Jones, producteur de Poolside, et ami de la jeune femme : « A l’université, elle commençait à découvrir beaucoup de musique : de la folk, du shoegaze, du punk. On écoutait des groupes locaux genre Des Ark, Mirah, The Blow, Rainer Maria. Elle répétait déjà depuis un moment qu'elle voulait aussi faire de la musique ». Coup de bol, Benham s’occupe d’un espace associatif sur le campus de leur fac, le Rodrigue’s Coffee House. « Lizzy venait souvent avec sa guitare et elle jouait des morceaux pour nous » revit-il. C’est dans cette salle de concert improvisée qu’un public entendra pour la première fois des titres comme « Yayo » ou « Kill Kill ».